vendredi 2 octobre 2009

Laisse 55 : Terres de femmes




55 - Terres de femmes
En posant ma vie sur Breze, trois hommes m'ont dévoilé leurs racines à travers leur père. Au seuil de la reprendre, trois femmes évoqueront leurs miettes d'île.


"Mon territoire est la terre, fredonne l'Angèle. J'y joue ma vie, des kops aux landes, en fuyant l'océan. Au creux des kops, nul n'a jamais laissé mes verres vides mais personne ne m'a proposé de les remplir s'il restait la moindre goutte au fond. D'une aube à l'autre, j'en ai offert aussi, pour un sourire ou contre rien. Au sortir du cocon des kops, je laisse mes yeux neufs disséquer le quotidien des landes à l'horizon salé. J'y marche à grande erre du sud au nord, partageant peines et bonheurs, colportant les insignifiances qui allument les regards, effleurant les âmes épuisées et transies de mots?caresses brûlants pour recréer, par privilège, leurs univers aux limites fluides. Nulle tempête n'arracha mes semelles de la glaise nourricière."

"Mon domaine, conte Suzanne, est tradition familiale et digues. Nous avons bonne réputation. Je hante la jetée du port, point de l'île d'où l'on aperçoit pour la première fois les bateaux qui arrivent du continent. C'est d'elle qu'on les voit aussi le plus longtemps lorsqu'ils nous quittent. On peut y rêver d'océans et de voyages en engoulant les parfums de la menthe sauvage et la tiédeur des pierres. L'eau est mon amie, les vagues, je les hais. Durant trois jours, aux dernières tempêtes, la mer se retira très loin pour mieux s'élancer. Six fois, le vent d'ouest l'assista dans ses assauts. Les rouleaux déplacèrent les blocs de l'année, comme si ces nouveaux obstacles les gênaient en empiétant sur leur terroir. Le gros œuvre résista. La digue est belle. Elle est si solide et je vis si fragile!"

"Mon espace, hurle Pauline, est la ligne de démarcation fluctuante entre le sable et l'eau. Ici se mêlent, de la terre le bruissement du vent caressant les fins roseaux, de l'océan l'exhalaison iodée fusant du large. Là se succèdent, des équinoxes les violentes marées, des solstices les mort-d'eau d'huile. J'y vague sur le fil des frontières, les pieds parfois trempés par une déferlante plus hardie que les autres. Au clair de lune, tout ce qui brille ne dort pas. Les puces de mer bondissent à l'approche de mes lourds sabots. Elles sont suffisamment agiles pour que leur sort ne m'intéresse pas. En suivant la mouvance des laisses, je cherche une raison valable pour croire qu'un homme, ou bien un dieu, aurait pu, un jour, n'être que bon ou méchant.

"Angèle, Suzanne, Pauline, votre vie dépend de la mer et du vent et la survie du bon entretien des digues et des haies.

Voix de sirène :
S'ancrer dans la glaise... Glisser sur les embruns... Vaguer sur les laisses...

La carte n'est pas le terrain pour le soldat. Quelle que soit la précision d'un plan, il lui manquera toujours la force d'un ouragan de novembre ou le caillou déplacé par le jeu d'un enfant.

Choisis tes semelles avec amour!

1 commentaire:

  1. Le vent souffle par grandes rafales. Le maquis ploie sous les à-coups imprévus du libecciu. Je ne vais sans doute pas pouvoir marcher très longtemps sur la route. Je n’ai pourtant pas envie de renoncer. Je vais trouver un abri où pelotonner ma solitude. Il me semble me souvenir qu’en prenant sur ma gauche le sentier un peu large qui conduit jusqu’aux ruches, je vais déboucher sous les grottes qui précèdent la Pierre plate. La Pierre à palabres.

    Angèle

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