lundi 2 novembre 2009

Laisse 44 : Ils sont partis




44 - Ils sont partis...
Cri du fou de bassan :

Le vide n'est jamais vide, il possède déjà un nom. Le néant aussi, mais le ? Occulte l'instant pressant imprégnant in-prégnant. Du Tao à l'Épopée, aux mesures de tes songes, taille !

dimanche 25 octobre 2009

Laisse 45 : Ils sont tous là


45 - Ils sont tous làCette année-là, la crue de la rivière avait envahi le vieux cimetière.
Les tourbillons de l'eau avaient recreusé les tombes de l'année et les cercueils de bois rouge flottaient au rythme des courants.
Le fil du temps s'enroulait en valsant au cœur des remous boueux...
Les fleurs en plastique n'en furent pas dérangées, les naturelles fanèrent moins vite.

Voix du machaon :
Les mailles du filet de la mémoire sont si lâches, oh si lâches, que l'on se demande comment certains événements insignifiants ont bien pu s'y laisser piéger.
Remarque l'insignifiance aux lourdes conséquences comme le battement des ailes du papillon de Guyane amorçant un cyclone sur la Floride.
Alors, ne bats plus des mains sans raison !

Laisse 46 : Chassé-croisé


46 - Chassé-croisé

Ils étaient trois parmi mes connaissances à exécuter ce numéro, mais je ne sus jamais lesquels.

Le spectacle qu'ils présentaient par couples, en alternance, drainait chaque soir les soifs dévorantes et les tendres solitudes de l'île.
L'un choisissait le smoking, l'autre la crinoline.
Ils déboulaient sur le plateau circulaire de la salle centrale du kop aux douze coups de minuit.
Au son d'une mélodie de vent et de pluie, de chants d'oiseaux et de murmures, de tonnerre et de poivre aussi, ils échangeaient lentement leurs vêtements, intégralement.
Les éclairages tantôt crus tantôt discrets dévoilaient juste assez pour laisser intacte l'ambiguïté de leur sexe.

A-t-il des ailes, est-elle une île?

Il eut était facile de reconnaître le couple.
Chacun arborait un tatouage sur sa cheville gauche.
Les chevilles de mes amis étaient vierges au soleil, mais leurs yeux les trahissaient sans dévoiler le secret ultime.
Trois parmi huit... Qui?
Qui? Fausse question. La véritable interrogation est de chercher pourquoi ce serait important de le savoir.
C'est évident!
Avec ces clés, je... Aie!



Voix du paon :
Pour porter un secret sans se meurtrir, il faut jurer de ne pas le transmettre... sauf à une seule personne (qui devra jurer...). Ose l'essentiel derrière un loup garant. Préfère les paillettes. Elles renvoient à ceux qui cherchent ton reflet dans le leur(re)!

Laisse 47 : Douze temps de Brèze



47 - Douze temps de Brèze
Sur la lande déserte balayée par le vent chaud du sud, l'île a pris la parole en silence.
Chaque instant de mon existence est peuplé d'êtres qui agissent comme s'ils avaient un but.
Malgré leurs perpétuelles pirouettes, ils retombent toujours sur ce qui leur sert de pieds.

I - Ses yeux brillent. Il sourit en parlant plus près. Va-t-il oser la toucher avant de se lever? Elle a fait le premier pas en acceptant un verre en sa compagnie à la vue de tous, rien que pour le plaisir de s'immobiliser en dégustant des mots mouillés de bière. Pas nécessaire de donner un nom aux genoux qui se rapprochent sous la table et que je suis la seule à percevoir. Lui, ses yeux se voilent. Elle, ce sera non pour ce soir, mais demain? Il, plus le temps avant la noirceur de trouver un autre corps pour partager ses rêves nocturnes. Elle, envolée de jupons dentelle. Lui, fond de chope amer...

II - Ailleurs, à la même seconde. Il a dit oui. Oui à celui qui lui tendait une cigarette en échange de quelques minutes supplémentaires d'écoute. On ne quitte pas quelqu'un avec un mégot allumé offert.

III - Déplacement furtif pour changer d'il. Il rit seul. Est-il doux dingue, est-il malade? Sa tête doit être sacrement pleine pour déborder ainsi en éclats de rire dangereusement contagieux.

IV - Elle pleure à l'autre bout de l'île. Raté, ce n'est pas de chagrin! Elle vient simplement de se brûler la main gauche en se servant une assiettée de soupe de pot-au-feu trop chaude. Une pomme de terre crue râpée la soulagera.

V - Ils investissent leur grand lit. Il prend systématiquement le côté gauche. Il a enfilé son pantalon de pyjama. Autant plonger le plus vite possible dans le sommeil. Il permet de le caresser doucement jusqu'à son orgasme. Mais l'Autre a roulé sur lui pour occuper son versant de lit. Le voici merveilleux amant.

VI - Retour au printemps. A cause des gelées tardives, Ils pensent que certaines variétés de pruniers ne donneront rien. Glissement de six mois. Les reines-claudes éclatent de santé. Bonnes tartes!

VII - Il est le cadet d'une famille aisée. Encore jeune, Il veut prendre la défense de ceux qu'Il pense exploités par ses parents. S'Il change, il deviendra un chef, sinon Il virera au dictateur.

VIII - Eux créent, entretiennent, relèvent mes digues meurtries par un océan furieux de ne pouvoir féconder de son sel cette terre incongrue perdue dans son immensité. Leur fourmillement me chatouille les plaines.

IX - Ils donnent leur vie en échange de celles qu'ils n'ont pas su protéger. Les autres leur donnent le nom de Gardiens.

X - Leur temps est comme celui de la pêche aux saumons. Ils interviennent lorsque les bourgeons éclatent alors que tout pêcheur sait qu'à la première feuille, le saumon ne se laisse plus attraper même si sa capture est encore autorisée par les autorités. Les autres les nomment Willgen, artisans du plaisir.

XI - Elle règne depuis trop longtemps. Morale individuelle et morale collective divergent. Ce qui est bon pour l'homme est devenu néfaste à la communauté. Elle va atteindre le seuil à partir duquel la négation de l'individu devient obligatoire. Les catastrophes naturelles sont propices aux changements politiques.

XII - Il, Breze, pilote la première centaine d'individus à ne pas être nés sur mes flancs. Mes sens s'éveillent. Il m'offre un nom, le sien. Puis l'île m'a confié qu'elle était née voici deux millions d'années d'un abaissement de la mer conjugué à une éruption volcanique. Dans dix mille ans, elle sera au centre d'un vaste continent.

Elle est fière de son acuité historique qui lui permet de distinguer les flashes de la vie de ses hommes. "Je me surprends même à trouver le temps de tomber amoureux de l'un d'eux souvent" furent ses derniers mots.

Frou-frou du citron :
Seules quelques vaches sont autorisées à pâturer en permanence à proximité des digues.
Que serait devenue l'humanité si certains mois de mai ou d'octobre n'avaient pas été si doux?
Ne sème plus l'heure sans réfléchir!

Laisse 48 : Paroles d'île


48 - Paroles d'île
Sous un soleil de plomb, l'île m'a chuchoté...

"J'ai besoin pour exister de bière et de mots.
Dans mes kops, chacun est accueilli par son nom, parfois par un baiser ou une poignée de main.
Les visages inconnus ne sont pas tous des étrangers, mais ceux du continent se repèrent à leur façon de se diriger vers les coins les plus sombres et de choisir, dans la mesure du possible, une table vierge de toute canette. Ceux d'ici recherchent le siège vide à la table la plus animée.
Les étrangers rendent le climat venteux et humide responsable des coutumes grégaires de mes humains. Vrai, peut-être, mais je ne leur demande pas la texture de leurs sous-vêtements pour les cataloguer, moi!
Les garde-manger se remplissent à l'escale des oies sauvages. Durant cette période, elles sont dégustées grillées, rôties, ou préparées en confits. Les hommes prélèvent leur part en spécimen adultes qui perdent ainsi leurs chances de mourir au cours de la migration, et finir à la dérive sur les océans engraissant des poissons carnivores qu'ils ne mangeront pas.
Les chasseurs sont moins cruels que les éleveurs. Ils capturent des volatiles ayant bien vécu leur vie d'animal, libres, plutôt que de les engraisser en espace clos avant de les abattre sans leur donner le moindre espoir d'échapper au massacre.
Admettre l'entretien d'animaux pour les mieux décimer, c'est aussi étrange que permettre aux puces d'élever des hommes pour ne jamais manquer de sang frais ? Pourquoi pas?
Mes kops sont les points d'articulation privilégiés de mon quotidien pluriel, comme les grèves et les digues. Les faits s'y transforment en sonorités signifiantes, en phrases lancées qui s'entrechoquent, desquelles s'échappent des mots qui rebondissent et se recombinant pour créer des récits insensés aux oreilles de ceux qui n'en sont pas les destinataires.
Quel plaisir de plonger dans un bain chaud de mots clairs qui glissent les uns sur les autres, s'emboîtent ou se percutent pour s'associer incestueusement en ouvrant de nouveaux horizons à l'esprit curieux qui les capture ensemble. Qui donc a observé ce petit chenal vert riant sous une touffe de céleri?
A la tombée du jour, avec la foule, les mots deviennent syllabes, puis sons fondamentaux comme vent agitant les feuilles du peuplier, comme vague roulant le galet...
Puis naît le son unique, riche d'harmoniques aigus comme cristal frappé et graves comme voix de baryton, nets comme sabot martelant les pavés et glissants comme huis huilé...
Vers la mi-nuit, le bruit redevient son, syllabes, mots, phrases incohérentes, dialogues... non-bruit.
La fatigue a renvoyé mes hommes au fond de leurs solitudes"
SILENCE

SILENCE Echo :
J'ai aussi besoin pour vivre du sommeil des Etres.
Sais-tu comment te taire ?

samedi 24 octobre 2009

Laisse 49 : Jeu de billes


49 - Jeu de billes
Il y eut cent billes et dix joueurs
Chacun en posséda dix
La partie put commencer.
L'un des joueurs les perdit toutes
Condamnons-le à mort
Il y a cent billes et neuf joueurs
La partie peut continuer.
L'un des joueurs les perdit toutes
Il sera volontairement exilé
Il y a cent billes et huit joueurs
La partie peut continuer.
L'un des joueurs les perdit toutes
Crevons-lui les yeux
Il y a cent billes et sept joueurs
La partie peut continuer.
L'un des joueurs les perdit toutes
Mettons-le en prison
Il y a cent billes et six joueurs
La partie peut continuer.
L'un des joueurs les perdit toutes
Dix ans de travaux forcés
Il y a cent billes et cinq joueurs
La partie peut continuer.
L'un des joueurs les perdit toutes
Il paiera une amende
Il y a cent billes, quatre joueurs
La partie peut continuer.
L'un des joueurs les perdit toutes
Diminuons ses ressources
Il y a cent billes et trois joueurs
La partie peut continuer.
L'un des joueurs les perdit toutes
Mettons-le au chômage
Il y a cent billes et deux joueurs
La partie peut continuer.
L'un des joueurs les perdit toutes
Il se suicidera
Il y a cent billes et un joueur
La partie est terminée


Voix du crotale :
Ainsi va l'humanité!
La légère comptine aux multiples sens cachés est une bombe à compréhension retardée.
Donne au fou le droit d'arrêter ses délires !




*Félibre : n.m. Poète ou prosateur, en langue d'oc.

Laisse 50 : Escale



50 - Escale
Les kops n'ont qu'un miroir, mais les surfaces brunes patinées d'encaustique et de nicotine des murs renvoient des silhouettes et prolongent l'espace sur un univers de spectres mobiles s'affairant sans un bruit dans la fumée bleutée des pipes. Leurs flous reflets mouvants traversent immuables le temps.

Dans un demi-siècle, il y a cent trois ans, ils seront/étaient ainsi semblables.
Sont-ce les impressions-portraits pâles de l'instant, sont-ce celles d'antan qui suivent en silence, sans agressivité, le rythme syncopé des longs débats savants et des courtes phrases assassines, des mesquines disputes et des grandes complicités, des gris sanglots silex et des rires blanc azur, des gestes vent et des attentes soleil des vivants en escale ?


Voix des hases :
Au sein de la foule, les sourires des uns font réfléchir les autres. Est-ce normal ?
Choisis la longueur de tes ongles en fonction de la couleur de tes idées!

*Kop : Abréviation de levenskoop, mot hollandais signifiant nœud, convergence des forces vives.

*Toril : n.m. Lieu de l'arène où l'on tient les taureaux enfermés avant le combat.

mardi 6 octobre 2009

Laisse 51 : Communiquer


51 - Angèle : Communiquer, disent-ils
J'ai un machin mais je n'ai pas d'hélico pour me tirer

J'ai la charrette mais je n'ai pas le cheval pour la tracter
J'ai le singe mais je n'ai pas de tronc pour le percher
J'ai les bourgeons mais je n'ai pas d'eau pour les infuser
J'ai la soupe mais je n'ai pas d'invité pour la licher
J'ai un ami mais il est bien trop loin pour me toucher
J'aurais le geste si j'avais les mots pour le proposer
J'ai un dictionnaire mais n'ai rien à bramer

Alors, à quoi me sert l'ordinateur
Si je n'ai rien à dire?
Allez,


Allez ma machine, je te mets au placard

Allez ma carriole, je te laisse aux zonards
Allez mon ouistiti, je te donne la plaine
Allez ma fenaison, je disperse tes graines
Allez mon infusion, je te prête la brume
Allez mon compagnon, je te confie mes plumes
Reviens mon accolade, pardonne mes absences
Allez mon alphabet, je t'offre mon silence

Plus d'électronique et plus de lettres
Laissez-moi. Laissez-moi,

La senteur des bleuets au bocage endormi
La beauté de la digue au lever de la lune
Le souvenir du sel sur les lèvres rougies
Le goût de l'oie grillée sur un feu de fortune
La mèche de cheveux trempée par un orage
Le piaillement des mouettes aux laisses d'une plage
Une fraîcheur de lin pour un drap effleuré
Les battements d'un cœur...

Communiquez, disent-ils,
Le quotidien.
Sans négliger

Le parfum de Fernand,
La silhouette d'Angèle,
Le passé de Suzanne,
Le croquant de Romain,
Les boucles de Pauline
Les clameurs de Victor,
Quelques penchants d'Emile,
Clémence,
Les fous bonheurs de l'île,
Une ronde à danser.


Voix de la crevette :
Les bavardages sont socialement utiles. Ils donnent un prétexte pour communiquer. Tout système cohérent n'élabore-t-il pas quelques lois injustes pour faciliter les relations de bon commérage entre les individus ? Peut-on capturer le bruit qui court avec un filet à illusions?


*Salonnier : n.m. Littérateur, journaliste qui rend compte des expositions au Salon.
*Velture : n.f. Bridure faite pour lier deux pièces de bois.

Laisse 52 : Ours pour ours



52 - Ours pour ours
Kop* au décor chaud gris souris - bleu lavande, à l'ambiance mobile de roulements d'épaules et de balancements de hanches au rythme artificiel d'une batterie électronique réglée pour ne perdre aucun millième de seconde, à l'atmosphère vivante de moues d'ennui et de sourires diagonaux échangés d'un bout à l'autre de la salle et interceptés derrière le comptoir par un kiki-bretelles à la voix éraillée récurant des soucoupes dans lesquelles a débordé un café trop sucré, voici planté l'espace et le temps de l'action.


Deux mecs accoudés au zinc, la trentaine, échangent leurs mots à oreille feutrée. Pauline aimerait aborder celui qui a les yeux gris, mais elle préfère s'éloigner pour ne pas exacerber ce qu'elle ressent de jalousie exclusive dans l'attitude de l'autre.

Trop tard. Une phrase captée lui prouve qu'il n'existe aucun lien entre eux. Elle ne voit aucun prétexte pour revenir au bar, son verre est trop plein.

Celui qu'elle a repéré en a un, lui, de prétexte, pour quitter son demi et s'approcher de Pauline, une cigarette neuve aux lèvres. Elle dégaine son briquet...

Ainsi Émile fit-il la connaissance de Pauline, dans un lieu où chacun n'attend personne, jouant au solitaire comblé qui prend le temps de siroter son breuvage en picorant des olives, de préférence vertes, tandis que le serveur s'agite, débordé, avant de vous faire la faveur de perdre quelques précieuses secondes pour glisser devant vous, d'un geste théâtral, la consommation qui vous distinguera des clients ordinaires qui échangent des propos anodins sur le temps de chien en consultant régulièrement leur montre-poignet-gauche.

Émile et Pauline... Deux artistes à l'affût des couleurs et des sons, des goûts et des odeurs, des sensations et des impressions que chaque lieu de l'île dispense généreusement à toute créature qui l'honore d'un clin d'œil.Pauline et Émile... Chat contre chat... Duel permanent... Déchirures à mots-crocs acérés... Émile et Pauline... Ours pour ours... Ravaudage à mots-caresses apaisants... Zig, aie, zag, oh.

Intime...
- "Tes phrases, Pauline, s'envolent mieux que les plus longs poèmes. Elles provoquent la colère ou le rire par le simple échange d'un mot, parfois d'une lettre, sans que ces sévices infligés à l'écrit, nés de ton humour dévastateur, n'entachent le sérieux de l'écriture."
- "Émile, tes îles-aquarelles sont plus vastes que des continents. Leurs brumes pastel de fin d'après-midi de presque été me plongent au cœur d'un monde apparemment familier dont les brusques tourbillons vident ma mémoire de tous ses clichés."

Vénéneux...
- "Ton pouvoir est équilibre que tu conserves en lésant beaucoup certains pour offrir peu à d'autres."
- "Ton équilibre est pouvoir dont tu uses pour faire baver ceux qui se trouvent trop comme ceci ou pas assez comme cela, c'est à dire tous."

Jaloux...
- "Tu me fuis, mec, pour laisser Fernand exercer son droit de cuissage sur toi. - Jouis ma belle, et laisse le coucou femelle déposer ses œufs dans le nid des copines de papa"
- "Tu me lamines les méninges, mignonne, avec ton espace vital.- Espèce d'oublié de la lobotomisation. Ton psychiatre est miraud?"

Envieux, frustrés, heureux, câlins, secrets... foule de mots abandonnés au cœur d'une relation forte recueillis mais encore trop bruts à livrer.

La fin de mon escapade sur Brèze est trop proche pour gâcher les précieuses minutes qui me restent à les retranscrire. Au risque de passer pour un ours, je passe le relais à votre vécu.

Que manque-t-il donc à Émile et à Pauline?
Qu'ont-ils besoin de jeter?
La croyance en un langage commun est la source de malentendus profonds difficiles à surmonter parce qu'indécelables par les parties prenantes.


Voix du criquet :
L'herbe est toujours plus verte dans l'inaccessible pré, en face. Sa chlorophylle est la meilleure pour se brosser les crocs avant un sourire mordant.

Faut-il toujours frapper avant d'entrer... en communication avec les autres ?
Dans la rue, mets bien tes gants de boxe pour amortir les orbes* clins d'yeux!


*Kop : Abréviation de levenskoop, mot hollandais signifiant nœud, convergence des forces vives.
*Orbe : n.m Espace que parcourt une planète dans sa révolution autour du soleil. adj. Coup qui meurtrit sans entamer les chairs.

Laisse 53 : Le trou


53 - Le trou
Un détail oublié qui a son importance...
Élégant jusqu'au nœud de cravate, Émile ne supporte pas le moindre trou dans ses chaussettes.
Le déshonneur du trou est pourtant mort lorsque nos grands-mères ont posé leurs cinq aiguilles à tricoter, puis cessé de ravauder les chaussettes industrielles. Autrefois, la chaussette était un mélange d'art et de travail trop important pour la laisser se détériorer, sans compter tout l'amour vécu pendant les longues heures de tricot pour celui à qui l'ouvrage était destiné.
Aujourd'hui, la chaussette n'est qu'un tube uni-pointure pour bipèdes.
Même seul, Émile retire toujours ses chaussettes avant de se mettre au lit. Comme vous aussi, avant de glisser de compagnie dans l'amour.
L'araignée dit :
Il est bizarre que le trou dans les chaussettes n'ait jamais été à la mode, même pour le Père Noël pendant les années de crise.
Tu attaches de l'importance à ce qui fait sourire les autres.
Un détail m'amuse chez toi.
Cherche-le bien!

Laisse 54 : La croix de Brèze





4 - La croix de Brèze
L'île de Brèze et son environnement accueillent l'accouplement des deux représentations d'une même croix sur les quatre branches desquelles mûrissent quatre hommes et quatre femmes.

De jour en jour, l'omniprésente croix dévoile la puissance de son symbolisme.
Victor, Clémence, Suzanne, Fernand, Émile, Angèle, Pauline, Romain, vous m'avez jugé digne de recevoir enfin l'initiation.
Me voici.

La croix de Breze appartient à l'ordre des croix planes centrées à branches isométriques, à la famille des croix à quatre rayons perpendiculaires, à la classe des croix à symétrie d'ordre un.La croix de brèze possède une symétrie axiale et un centre bien identifié. Elle est inscriptible dans un cercle ou dans une portion de cercle, permettant de découper des ribambelles pour former une ronde parfaite, comme les Chevaliers de la Table du même nom.

La croix de Brèze joue un rôle analogue au blocage temporaire qui empêche les pièces mobiles de subir des dommages lors de leur transport d'un lieu à un autre, d'un temps à un autre. C'est l'emballage protecteur qui permet le mouvement par saut quantique sans risques...

La croix de Brèze...

Dit de la vive :
La vie est un équilibre fragile alchimiquement tamponné par une croix de Brèze.
Comment porte-tu la tienne ?

vendredi 2 octobre 2009

Laisse 55 : Terres de femmes




55 - Terres de femmes
En posant ma vie sur Breze, trois hommes m'ont dévoilé leurs racines à travers leur père. Au seuil de la reprendre, trois femmes évoqueront leurs miettes d'île.


"Mon territoire est la terre, fredonne l'Angèle. J'y joue ma vie, des kops aux landes, en fuyant l'océan. Au creux des kops, nul n'a jamais laissé mes verres vides mais personne ne m'a proposé de les remplir s'il restait la moindre goutte au fond. D'une aube à l'autre, j'en ai offert aussi, pour un sourire ou contre rien. Au sortir du cocon des kops, je laisse mes yeux neufs disséquer le quotidien des landes à l'horizon salé. J'y marche à grande erre du sud au nord, partageant peines et bonheurs, colportant les insignifiances qui allument les regards, effleurant les âmes épuisées et transies de mots?caresses brûlants pour recréer, par privilège, leurs univers aux limites fluides. Nulle tempête n'arracha mes semelles de la glaise nourricière."

"Mon domaine, conte Suzanne, est tradition familiale et digues. Nous avons bonne réputation. Je hante la jetée du port, point de l'île d'où l'on aperçoit pour la première fois les bateaux qui arrivent du continent. C'est d'elle qu'on les voit aussi le plus longtemps lorsqu'ils nous quittent. On peut y rêver d'océans et de voyages en engoulant les parfums de la menthe sauvage et la tiédeur des pierres. L'eau est mon amie, les vagues, je les hais. Durant trois jours, aux dernières tempêtes, la mer se retira très loin pour mieux s'élancer. Six fois, le vent d'ouest l'assista dans ses assauts. Les rouleaux déplacèrent les blocs de l'année, comme si ces nouveaux obstacles les gênaient en empiétant sur leur terroir. Le gros œuvre résista. La digue est belle. Elle est si solide et je vis si fragile!"

"Mon espace, hurle Pauline, est la ligne de démarcation fluctuante entre le sable et l'eau. Ici se mêlent, de la terre le bruissement du vent caressant les fins roseaux, de l'océan l'exhalaison iodée fusant du large. Là se succèdent, des équinoxes les violentes marées, des solstices les mort-d'eau d'huile. J'y vague sur le fil des frontières, les pieds parfois trempés par une déferlante plus hardie que les autres. Au clair de lune, tout ce qui brille ne dort pas. Les puces de mer bondissent à l'approche de mes lourds sabots. Elles sont suffisamment agiles pour que leur sort ne m'intéresse pas. En suivant la mouvance des laisses, je cherche une raison valable pour croire qu'un homme, ou bien un dieu, aurait pu, un jour, n'être que bon ou méchant.

"Angèle, Suzanne, Pauline, votre vie dépend de la mer et du vent et la survie du bon entretien des digues et des haies.

Voix de sirène :
S'ancrer dans la glaise... Glisser sur les embruns... Vaguer sur les laisses...

La carte n'est pas le terrain pour le soldat. Quelle que soit la précision d'un plan, il lui manquera toujours la force d'un ouragan de novembre ou le caillou déplacé par le jeu d'un enfant.

Choisis tes semelles avec amour!

Laisse 56 : Partie de bridge

56 - Partie de bridge
Ce sera un simple problème pour trois joueurs et un mort.
Soit une île morcelée en une multitude de petits domaines. Donner une identité jouable à l'ensemble de ces territoires.



Le joueur du Nord, politicien, œuvrera pour unir les autres pays au sien en cherchant le Plus Grand Dénominateur Commun (PGCD) aux différentes lois et coutumes de ses futurs partenaires. Pour l'aider, indiquons-lui les trois structures possibles en fonction de la valeur du PGCD. Élevé, il aboutira à l'émergence, par réaction, de l'hégémonie d'un seul participant. Moyen, il fabriquera un fade amalgame du chaud et du froid. Faible il subira de longues palabres pour déterminer qui abandonne un peu de quoi.

Par malheur, le nombre d'entités à rassembler est supérieur à trois...


Le joueur de l'Ouest, artisan verrier, morcellera chaque région déjà constituée en domaines autonomes qui, forts de leurs racines, coopéreront en se valorisant mutuellement. Pour le mettre sur la voie, posons-lui la question du devenir d'un corps humain dont les cellules décideraient de ne pas se différencier. Issues de la même, elles en ont le pouvoir! Pourquoi se spécialisent-elles à partir d'un certain stade de développement? Peut-être pour que la vie du vitrail qu'elles composent devienne simplement la leur.

Par bonheur, il ne sera pas inculte.

Le joueur de l'Est, militaire, se torturera les méninges sur le thème de la Paix, état instable nuisible pour l'homme qui brûle ses heures de sérénité à trembler pour que la guerre n'éclate pas en prenant le temps de chercher querelle à ses voisins. Pour lui, un homme est Homme s'il peut affirmer : "Je suis un ancien combattant de...". Pour l'orienter, remplaçons l'expression Faites la paix par Foutez-vous la paix en lui faisant bouffer les colombes aux rameaux d'olivier qui ne volent qu'après les déluges. La paix est-elle toujours foutue?

Par erreur, ses armes ne seront pas chargées.

Le joueur du Sud, jardinier, sera le mort par inadvertance, l'organisateur des jachères. Son vis-à-vis du Nord a touché un jeu suffisamment fort pour jouer tout seul en utilisant ses cartes. On ne le soutiendra pas, il est dispensé de propositions, par définition.

Par hasard, la lumière sera éteinte.

Quelle sera l'entame la plus astucieuse? Quel sera le nom de l'entité choisie en fin de partie?

Voix du scorpion :
Déterminer la juste quantité d'humain à mettre en jeu pour faire passer le courant. Ne gaspille plus tes illusions!

Laisse 57 : Moissons

Rêve de femme


57 - Moissons
Nul ne peut comprendre l'ivresse, la rage et la patience du citadin devant un champ de blés mûrs, pas même un autre citadin, pas même le paysan qui l'a semé. D'abord l'ivresse de découvrir enfin le premier maillon de la chaîne qui conduira au pain de tous les repas. Ensuite la rage de voir de gigantesques machines abandonner lâchement quelques plants à la moisson. Enfin la patience de récupérer les épis oubliés en réfléchissant sur leur devenir.
Après en avoir séparé mille pour les peser et connaître les caractéristiques de la variété, les grains grossièrement concassés iront ajouter du croquant aux galettes de l'hiver. Les épis seront rassemblés en bouquets, inévitables nids à poussière, mais si dorés. Les entre-nœuds des tiges se substitueront aux chalumeaux de plastique, rarement utiles hors les baraques à hamburger, pour siroter les colas de l'aérophagie. Les longues feuilles tressées constitueront de petits objets informes à l'esthétique douteuse à joindre aux "objets de fin d'année" amoureusement sculptés par des générations d'écoliers de maternelle. "C'est moi qui l'ai fait, c'est cadeau !" à placer entre la girafe stylisée en plâtre écaillé et la Tour d'Eiffel en plastic-souvenir-de-Paris.
Qui partagera la folie, la fureur, l'attente des humains rêvant la vie des autres pour oser vivre leurs rêves?


Voix du narrateur : Pendant le bleu d'un rêve, Ta vie a pris le vent, et tu vas bien... Bien... Où est la question ? Prends le vent, une obole aux dents… Ose !

jeudi 1 octobre 2009

Laisse 101 : ecce homo



Croisées vermeilles


001 - Ecce homo
Un revolver collé sur ma tempe gauche, mon index se crispera sur la gâchette. Déclic. Le barillet n'aura pas été chargé par mes fantasmes nocturnes bien refoulés par un sommeil chimiquement plombé.

Pourtant, cette nuit, une espèce de momie recroquevillée en position fœtale est venue me parler. Et depuis, le son de sa voix tourbillonne dans mon crâne en volutes si glacées qu'il me faut l'expulser au plus vite pour tenter d'en comprendre le sens avant qu'il ne congèle ma raison.

"Pourquoi m'as-tu fait revenir... Au début, j'étais mal, mais maintenant, j'avais chaud depuis qu'on m'a mis des pantoufles."

Qu'est-ce qui a bien pu ramener cette phrase, cette association de mots, depuis le tréfonds de mon inconscient?

La momie, je la connaissais sans la reconnaître. Cet ami, je l'aimais comme on aime un homme de sa race, semblable et différent. Physiquement aussi brun et poilu que j'étais blanc de peau et presque glabre, à l'exception des moustaches, intellectuellement aussi littéraire que j'étais scientifique, nous nous accordions.

Il est parti voici quelques années, décédé de non-assistance à personne en mal d'amour. Crise cardiaque pour un cœur mâle aimé.

Culpabilité?

Il barbote vivant au sein de ma mémoire, émergeant pour un éclat de soleil que nous avions partagé en un lieu précis ou plongeant pendant certains quotidiens pluriels.

La dernière fois que nos regards se sont croisés, il accompagnait mon toujours départ d'un geste large de ses grosses pattes velues et du regard clair qui rayonnait après l'amour partagé. Il n'a pas attendu que notre relation s'émousse pour prendre le large.

A l'ultime instant, il a dû avoir très mal en se recroquevillant seul au petit matin dans l'herbe humide après l'orage. Il était glacé lorsqu'on le retrouva sur le chemin en pente douce.

Son livre des morts, son passage serein sur l'autre rive dépend certainement de mes pensées. C'est la seule façon de lui tenir encore la main.

Qui est le "on" qui a eu la charité de lui mettre des pantoufles?

Et pourquoi les pieds plutôt que les épaules évidentes?

Son "Pourquoi m'as-tu fait revenir" était amer comme le ton d'un nageur qui vient de traverser la Manche à la nage et qui s'aperçoit qu'il a oublié ses clés sur la plage de départ et doit se replonger à l'eau pour retourner les chercher.

Ton triste mais sans colère, pardonnant d'avance par amour à celui par lequel les épreuves arrivent. Et moi, je ne sais toujours pas pourquoi malgré les mots qui se bousculent encore pour sortir.

Peut-être l'ai-je appelé par désir de le rejoindre... ou peut-être par culpabilité de ne pas avoir pensé à lui depuis quelques jours... ou... Les mots répudiés qui jaillissent vident l'abcès. Allumer une cigarette pour résister sans violence à ce tourbillon et laisser quelques mots blancs retenus comme des pieux sur lesquels je rebâtirai ma cité lacustre. Oui, blancs. La question était importante, pas la réponse...

L'écluse des mots se referme, l'hémorragie est jugulée. J'ai encore réussi à le retenir en moi.

Aucune déchirure ne viendra fragiliser le tissu grisaille du matin pluvieux. Cette première cigarette ne sera pas encore la dernière. Dans un long silence, j'échangerai l'arme à feu contre un rasoir dont le crissement sur ma peau artificiellement tendue par la mousse d'une bombe finira d'éveiller mon conscient.

Tu regarderas le soleil se lever et j'irai bien... Ce ne sera pas encore le sourire que tu as connu, limpide à travers les vapeurs d'un thé bouillant, mais ça ira pour moi...

Chaque image épinglée au mur participera comme elle peut à la résurgence de ma bonne humeur indispensable aux rencontres quotidiennes : les gris des aquarelles pour la transition, les rouges des photos pour franchir le seuil, le bleu serein de Rêve de femme (le dernier graphe de la série Breze) pour saluer un homme heureux. Et toi ?

Bang : ding ding ding ding ding dong (de l'horloge) Tiens, il est déjà six heures (du héros)... Reprendrez-vous un peu de thé ? Et toi un baiser ?