vendredi 21 avril 2017

Laisse 43 - Herbes foulées



Laisse 43 : Herbes foulées

    Petite herbe fragile, comment voyais-tu Émile et Fernand lorsqu'ils se retrouvaient au creux de ce pré?
     Ils étaient comme des moutons que le berger aurait en vain cherchés au moment de la tonte. Leurs longues mèches vierges se frôlaient sans s'emmêler. Les menhirs de la lande les protégeaient des rumeurs publiques. Lorsqu'ils s'embrasaient, la laine de l'un prenait la couleur des amandes, celle de l'autre leur goût amer. Leurs toisons étaient si belles sous l'orage, plus douce que la fleur la plus tendre. Une pelote en équilibre sur quatre allumettes!

     Étaient-ils marionnettes ou humains?

     Facile! Au fil des heures, l'humeur des pantins évolue de façon logique. Par contre, un homme se retrouve très vite en contradiction avec lui-même. La preuve de son humanité réside dans ses illogismes apparents.
     Ma réponse serait claire si tu n'exigeais pas, pour ton récit, des pupazzi aux fils souples excluant l'humain. Ils étaient donc poupées.
     Pourtant, ils foulaient mes tiges avec un si grand hasard que je ne sais si quelqu'un les manipulait.
     Je leur pardonne.
     Broute en paix.


Grain de sel de la coccinelle :
Parfois, les humains ôtent leurs sandales. Leurs pieds nus courbent alors les herbes avec douceur au lieu de les écraser. C'est aussi un critère pour les distinguer. Ote tes bottes pour caresser le chiendent de la plante http://breze-une-ile.blogspot.fr/2009/10/lame-043-07-acte-volontaihttps://breze-une-ile.blogspot.fr/2009/10/lame-043-07-acte-volontaire.html

lundi 2 novembre 2009

Laisse 44 : Ils sont partis




44 - Ils sont partis...
Cri du fou de bassan :

Le vide n'est jamais vide, il possède déjà un nom. Le néant aussi, mais le ? Occulte l'instant pressant imprégnant in-prégnant. Du Tao à l'Épopée, aux mesures de tes songes, taille !

dimanche 25 octobre 2009

Laisse 45 : Ils sont tous là


45 - Ils sont tous làCette année-là, la crue de la rivière avait envahi le vieux cimetière.
Les tourbillons de l'eau avaient recreusé les tombes de l'année et les cercueils de bois rouge flottaient au rythme des courants.
Le fil du temps s'enroulait en valsant au cœur des remous boueux...
Les fleurs en plastique n'en furent pas dérangées, les naturelles fanèrent moins vite.

Voix du machaon :
Les mailles du filet de la mémoire sont si lâches, oh si lâches, que l'on se demande comment certains événements insignifiants ont bien pu s'y laisser piéger.
Remarque l'insignifiance aux lourdes conséquences comme le battement des ailes du papillon de Guyane amorçant un cyclone sur la Floride.
Alors, ne bats plus des mains sans raison !

Laisse 46 : Chassé-croisé


46 - Chassé-croisé

Ils étaient trois parmi mes connaissances à exécuter ce numéro, mais je ne sus jamais lesquels.

Le spectacle qu'ils présentaient par couples, en alternance, drainait chaque soir les soifs dévorantes et les tendres solitudes de l'île.
L'un choisissait le smoking, l'autre la crinoline.
Ils déboulaient sur le plateau circulaire de la salle centrale du kop aux douze coups de minuit.
Au son d'une mélodie de vent et de pluie, de chants d'oiseaux et de murmures, de tonnerre et de poivre aussi, ils échangeaient lentement leurs vêtements, intégralement.
Les éclairages tantôt crus tantôt discrets dévoilaient juste assez pour laisser intacte l'ambiguïté de leur sexe.

A-t-il des ailes, est-elle une île?

Il eut était facile de reconnaître le couple.
Chacun arborait un tatouage sur sa cheville gauche.
Les chevilles de mes amis étaient vierges au soleil, mais leurs yeux les trahissaient sans dévoiler le secret ultime.
Trois parmi huit... Qui?
Qui? Fausse question. La véritable interrogation est de chercher pourquoi ce serait important de le savoir.
C'est évident!
Avec ces clés, je... Aie!



Voix du paon :
Pour porter un secret sans se meurtrir, il faut jurer de ne pas le transmettre... sauf à une seule personne (qui devra jurer...). Ose l'essentiel derrière un loup garant. Préfère les paillettes. Elles renvoient à ceux qui cherchent ton reflet dans le leur(re)!

Laisse 47 : Douze temps de Brèze



47 - Douze temps de Brèze
Sur la lande déserte balayée par le vent chaud du sud, l'île a pris la parole en silence.
Chaque instant de mon existence est peuplé d'êtres qui agissent comme s'ils avaient un but.
Malgré leurs perpétuelles pirouettes, ils retombent toujours sur ce qui leur sert de pieds.

I - Ses yeux brillent. Il sourit en parlant plus près. Va-t-il oser la toucher avant de se lever? Elle a fait le premier pas en acceptant un verre en sa compagnie à la vue de tous, rien que pour le plaisir de s'immobiliser en dégustant des mots mouillés de bière. Pas nécessaire de donner un nom aux genoux qui se rapprochent sous la table et que je suis la seule à percevoir. Lui, ses yeux se voilent. Elle, ce sera non pour ce soir, mais demain? Il, plus le temps avant la noirceur de trouver un autre corps pour partager ses rêves nocturnes. Elle, envolée de jupons dentelle. Lui, fond de chope amer...

II - Ailleurs, à la même seconde. Il a dit oui. Oui à celui qui lui tendait une cigarette en échange de quelques minutes supplémentaires d'écoute. On ne quitte pas quelqu'un avec un mégot allumé offert.

III - Déplacement furtif pour changer d'il. Il rit seul. Est-il doux dingue, est-il malade? Sa tête doit être sacrement pleine pour déborder ainsi en éclats de rire dangereusement contagieux.

IV - Elle pleure à l'autre bout de l'île. Raté, ce n'est pas de chagrin! Elle vient simplement de se brûler la main gauche en se servant une assiettée de soupe de pot-au-feu trop chaude. Une pomme de terre crue râpée la soulagera.

V - Ils investissent leur grand lit. Il prend systématiquement le côté gauche. Il a enfilé son pantalon de pyjama. Autant plonger le plus vite possible dans le sommeil. Il permet de le caresser doucement jusqu'à son orgasme. Mais l'Autre a roulé sur lui pour occuper son versant de lit. Le voici merveilleux amant.

VI - Retour au printemps. A cause des gelées tardives, Ils pensent que certaines variétés de pruniers ne donneront rien. Glissement de six mois. Les reines-claudes éclatent de santé. Bonnes tartes!

VII - Il est le cadet d'une famille aisée. Encore jeune, Il veut prendre la défense de ceux qu'Il pense exploités par ses parents. S'Il change, il deviendra un chef, sinon Il virera au dictateur.

VIII - Eux créent, entretiennent, relèvent mes digues meurtries par un océan furieux de ne pouvoir féconder de son sel cette terre incongrue perdue dans son immensité. Leur fourmillement me chatouille les plaines.

IX - Ils donnent leur vie en échange de celles qu'ils n'ont pas su protéger. Les autres leur donnent le nom de Gardiens.

X - Leur temps est comme celui de la pêche aux saumons. Ils interviennent lorsque les bourgeons éclatent alors que tout pêcheur sait qu'à la première feuille, le saumon ne se laisse plus attraper même si sa capture est encore autorisée par les autorités. Les autres les nomment Willgen, artisans du plaisir.

XI - Elle règne depuis trop longtemps. Morale individuelle et morale collective divergent. Ce qui est bon pour l'homme est devenu néfaste à la communauté. Elle va atteindre le seuil à partir duquel la négation de l'individu devient obligatoire. Les catastrophes naturelles sont propices aux changements politiques.

XII - Il, Breze, pilote la première centaine d'individus à ne pas être nés sur mes flancs. Mes sens s'éveillent. Il m'offre un nom, le sien. Puis l'île m'a confié qu'elle était née voici deux millions d'années d'un abaissement de la mer conjugué à une éruption volcanique. Dans dix mille ans, elle sera au centre d'un vaste continent.

Elle est fière de son acuité historique qui lui permet de distinguer les flashes de la vie de ses hommes. "Je me surprends même à trouver le temps de tomber amoureux de l'un d'eux souvent" furent ses derniers mots.

Frou-frou du citron :
Seules quelques vaches sont autorisées à pâturer en permanence à proximité des digues.
Que serait devenue l'humanité si certains mois de mai ou d'octobre n'avaient pas été si doux?
Ne sème plus l'heure sans réfléchir!

Laisse 48 : Paroles d'île


48 - Paroles d'île
Sous un soleil de plomb, l'île m'a chuchoté...

"J'ai besoin pour exister de bière et de mots.
Dans mes kops, chacun est accueilli par son nom, parfois par un baiser ou une poignée de main.
Les visages inconnus ne sont pas tous des étrangers, mais ceux du continent se repèrent à leur façon de se diriger vers les coins les plus sombres et de choisir, dans la mesure du possible, une table vierge de toute canette. Ceux d'ici recherchent le siège vide à la table la plus animée.
Les étrangers rendent le climat venteux et humide responsable des coutumes grégaires de mes humains. Vrai, peut-être, mais je ne leur demande pas la texture de leurs sous-vêtements pour les cataloguer, moi!
Les garde-manger se remplissent à l'escale des oies sauvages. Durant cette période, elles sont dégustées grillées, rôties, ou préparées en confits. Les hommes prélèvent leur part en spécimen adultes qui perdent ainsi leurs chances de mourir au cours de la migration, et finir à la dérive sur les océans engraissant des poissons carnivores qu'ils ne mangeront pas.
Les chasseurs sont moins cruels que les éleveurs. Ils capturent des volatiles ayant bien vécu leur vie d'animal, libres, plutôt que de les engraisser en espace clos avant de les abattre sans leur donner le moindre espoir d'échapper au massacre.
Admettre l'entretien d'animaux pour les mieux décimer, c'est aussi étrange que permettre aux puces d'élever des hommes pour ne jamais manquer de sang frais ? Pourquoi pas?
Mes kops sont les points d'articulation privilégiés de mon quotidien pluriel, comme les grèves et les digues. Les faits s'y transforment en sonorités signifiantes, en phrases lancées qui s'entrechoquent, desquelles s'échappent des mots qui rebondissent et se recombinant pour créer des récits insensés aux oreilles de ceux qui n'en sont pas les destinataires.
Quel plaisir de plonger dans un bain chaud de mots clairs qui glissent les uns sur les autres, s'emboîtent ou se percutent pour s'associer incestueusement en ouvrant de nouveaux horizons à l'esprit curieux qui les capture ensemble. Qui donc a observé ce petit chenal vert riant sous une touffe de céleri?
A la tombée du jour, avec la foule, les mots deviennent syllabes, puis sons fondamentaux comme vent agitant les feuilles du peuplier, comme vague roulant le galet...
Puis naît le son unique, riche d'harmoniques aigus comme cristal frappé et graves comme voix de baryton, nets comme sabot martelant les pavés et glissants comme huis huilé...
Vers la mi-nuit, le bruit redevient son, syllabes, mots, phrases incohérentes, dialogues... non-bruit.
La fatigue a renvoyé mes hommes au fond de leurs solitudes"
SILENCE

SILENCE Echo :
J'ai aussi besoin pour vivre du sommeil des Etres.
Sais-tu comment te taire ?

samedi 24 octobre 2009

Laisse 49 : Jeu de billes


49 - Jeu de billes
Il y eut cent billes et dix joueurs
Chacun en posséda dix
La partie put commencer.
L'un des joueurs les perdit toutes
Condamnons-le à mort
Il y a cent billes et neuf joueurs
La partie peut continuer.
L'un des joueurs les perdit toutes
Il sera volontairement exilé
Il y a cent billes et huit joueurs
La partie peut continuer.
L'un des joueurs les perdit toutes
Crevons-lui les yeux
Il y a cent billes et sept joueurs
La partie peut continuer.
L'un des joueurs les perdit toutes
Mettons-le en prison
Il y a cent billes et six joueurs
La partie peut continuer.
L'un des joueurs les perdit toutes
Dix ans de travaux forcés
Il y a cent billes et cinq joueurs
La partie peut continuer.
L'un des joueurs les perdit toutes
Il paiera une amende
Il y a cent billes, quatre joueurs
La partie peut continuer.
L'un des joueurs les perdit toutes
Diminuons ses ressources
Il y a cent billes et trois joueurs
La partie peut continuer.
L'un des joueurs les perdit toutes
Mettons-le au chômage
Il y a cent billes et deux joueurs
La partie peut continuer.
L'un des joueurs les perdit toutes
Il se suicidera
Il y a cent billes et un joueur
La partie est terminée


Voix du crotale :
Ainsi va l'humanité!
La légère comptine aux multiples sens cachés est une bombe à compréhension retardée.
Donne au fou le droit d'arrêter ses délires !




*Félibre : n.m. Poète ou prosateur, en langue d'oc.