dimanche 25 octobre 2009

Laisse 47 : Douze temps de Brèze



47 - Douze temps de Brèze
Sur la lande déserte balayée par le vent chaud du sud, l'île a pris la parole en silence.
Chaque instant de mon existence est peuplé d'êtres qui agissent comme s'ils avaient un but.
Malgré leurs perpétuelles pirouettes, ils retombent toujours sur ce qui leur sert de pieds.

I - Ses yeux brillent. Il sourit en parlant plus près. Va-t-il oser la toucher avant de se lever? Elle a fait le premier pas en acceptant un verre en sa compagnie à la vue de tous, rien que pour le plaisir de s'immobiliser en dégustant des mots mouillés de bière. Pas nécessaire de donner un nom aux genoux qui se rapprochent sous la table et que je suis la seule à percevoir. Lui, ses yeux se voilent. Elle, ce sera non pour ce soir, mais demain? Il, plus le temps avant la noirceur de trouver un autre corps pour partager ses rêves nocturnes. Elle, envolée de jupons dentelle. Lui, fond de chope amer...

II - Ailleurs, à la même seconde. Il a dit oui. Oui à celui qui lui tendait une cigarette en échange de quelques minutes supplémentaires d'écoute. On ne quitte pas quelqu'un avec un mégot allumé offert.

III - Déplacement furtif pour changer d'il. Il rit seul. Est-il doux dingue, est-il malade? Sa tête doit être sacrement pleine pour déborder ainsi en éclats de rire dangereusement contagieux.

IV - Elle pleure à l'autre bout de l'île. Raté, ce n'est pas de chagrin! Elle vient simplement de se brûler la main gauche en se servant une assiettée de soupe de pot-au-feu trop chaude. Une pomme de terre crue râpée la soulagera.

V - Ils investissent leur grand lit. Il prend systématiquement le côté gauche. Il a enfilé son pantalon de pyjama. Autant plonger le plus vite possible dans le sommeil. Il permet de le caresser doucement jusqu'à son orgasme. Mais l'Autre a roulé sur lui pour occuper son versant de lit. Le voici merveilleux amant.

VI - Retour au printemps. A cause des gelées tardives, Ils pensent que certaines variétés de pruniers ne donneront rien. Glissement de six mois. Les reines-claudes éclatent de santé. Bonnes tartes!

VII - Il est le cadet d'une famille aisée. Encore jeune, Il veut prendre la défense de ceux qu'Il pense exploités par ses parents. S'Il change, il deviendra un chef, sinon Il virera au dictateur.

VIII - Eux créent, entretiennent, relèvent mes digues meurtries par un océan furieux de ne pouvoir féconder de son sel cette terre incongrue perdue dans son immensité. Leur fourmillement me chatouille les plaines.

IX - Ils donnent leur vie en échange de celles qu'ils n'ont pas su protéger. Les autres leur donnent le nom de Gardiens.

X - Leur temps est comme celui de la pêche aux saumons. Ils interviennent lorsque les bourgeons éclatent alors que tout pêcheur sait qu'à la première feuille, le saumon ne se laisse plus attraper même si sa capture est encore autorisée par les autorités. Les autres les nomment Willgen, artisans du plaisir.

XI - Elle règne depuis trop longtemps. Morale individuelle et morale collective divergent. Ce qui est bon pour l'homme est devenu néfaste à la communauté. Elle va atteindre le seuil à partir duquel la négation de l'individu devient obligatoire. Les catastrophes naturelles sont propices aux changements politiques.

XII - Il, Breze, pilote la première centaine d'individus à ne pas être nés sur mes flancs. Mes sens s'éveillent. Il m'offre un nom, le sien. Puis l'île m'a confié qu'elle était née voici deux millions d'années d'un abaissement de la mer conjugué à une éruption volcanique. Dans dix mille ans, elle sera au centre d'un vaste continent.

Elle est fière de son acuité historique qui lui permet de distinguer les flashes de la vie de ses hommes. "Je me surprends même à trouver le temps de tomber amoureux de l'un d'eux souvent" furent ses derniers mots.

Frou-frou du citron :
Seules quelques vaches sont autorisées à pâturer en permanence à proximité des digues.
Que serait devenue l'humanité si certains mois de mai ou d'octobre n'avaient pas été si doux?
Ne sème plus l'heure sans réfléchir!

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